Chuy attrapa par le col le voleur qui s’essayait à la fuite à l’anglaise, le tirant sans difficulté derrière une échoppe qui ne les dissimulaient que très mal de l’activité produite par le marché. « Laisse tomber, tu vas te faire choper. Y’a les adjoints du Shérif ils sont pas loin. » Sans attendre le flot de protestations qui ne tarda de toute façon pas à arriver, il attrapa ce que le blaireau essayait de cacher dans ses manches pour le lui arracher des mains sans aucun ménagement. « Ta gueule, tu veux un doigt aussi en moins Badger ? » Il agita sa main droite sous le nez du petit qui resta muet comme une carpe. « Pars avant qu’il vienne, vale. » Chuy poussa négligemment le gosse pour l’inciter à filer, ce qu’il fit à contre cœur parce que le temps lui manquait pour cracher toute la haine qu’il étalerait devant ses petits copains une fois qu’il les aurait rejoint.

En rejoignant l’avenue principale qui était plus active qu'une fourmilière, Chuy regarda ce qu’il avait dans la main. Une bourse qu’il ouvrit en tirant d’un coup sec sur la lanière de cuir. A l’intérieur se trouvait des pièces qu’il n’avait pas le temps de compter et un petit peigne qui prenait la majorité de la place. Il avait l’air d’être en argent. Qui se baladait avec un peigne dans son porte-monnaie, tiens. Il y avait aussi un chapelet qu’il tira pour l’admirer (en particulier la représentation de la Madone) et le glisser autour de son cou. Chuy n’eut pas le temps de le dissimuler sous sa chemise (il ne faisait pas bon d’être catholique par ici) que le propriétaire apparut finalement devant lui. Une devinette plutôt facile. L’homme était en sueur pour avoir cavalé et joué des coudes au milieu d’un marché. Le reste de la populace n’avaient pas semblé beaucoup partager le désarrois du pauvre homme. Ah. La moustache expliquait le peigne. Chuy gloussa.

« J’ai trouvé ça par terre. » Il fit chanter la bourse en cuir d’un tintement de piècettes. Il y fit glisser le peigne à l’intérieur. « C’était à toi ? » Le gamin se garda bien de faire mine de le lui rendre, ayant une autre idée en tête pour tirer profit de sa journée. Qu’on ne le reprenne plus à voler ici. Pas pour l’instant. Pas quand il y avait autant de témoins. Il y avait bien des moyens plus honnête de gagner quelques sous. Comme tomber par hasard sur les butins de voleurs étourdis.

La petite bourse de cuir lui fut arrachée des mains pour finir entre les pinces de vautour du type en sueur. Il avait les joues rouges. Un sourire pinça celles de Chuy qui elles, étaient plutôt crasseuses. Marrant comme tout le monde n’était pas égal face à la poussière et au soleil. A sa dégaine c’est un gars qui a trop d’argent, il pue le dollar jusque sur la semelle neuve de ses jolies bottines cirées. La plus jolie cible du marché à ce jour, on en avait rarement des dindons aussi pleins aux as, même à Silverstone. Ou alors les autres poulets du poulailler savaient se faire plus discrets. C’était certain que d’autres voleurs attendaient leur tour pour mettre la main au pactole qui était agité au milieu de la ruelle désertée pour un match de catch un peu plus loin. En comparaison même Louisa avait triste mine dans ses robes aux centaines de jupons. Il ne manquait plus qu’une paire de loches à la Moustache pour qu’il soit définitivement mieux côté que la poulette à la mairie. Il comptait ses sous comme si un peso pouvait faire la différence pour lui.

« Toi tu es pas très poli, hein. Je te ramène tout ça et tu parles mal. Si j'étais le voleur tu crois que j'aurai pas gardé de l'argent. Eh, ¡lelo! Je serai pas venu les ramener. » Le sourire qu’il affichait n’avait rien de très sympathique. Chuy fit glisser le chapelet par-dessus sa tête pour le laisser dans la main du type sans faire de manière. Sa parole contre la sienne, toujours la même rengaine, il fallait jouer ailleurs. « On est pas dans ton pays de péquins là, alors je m’en fout. Mais je sais ce qu’on fait aux… » En cherchant ses mots il désigna l’objet religieux que tenait l’étranger dans sa main. La madone d’argent avait les yeux pieusement baissés. Le petit médaillon tournait lentement sur lui-même. « …aux católicos, ici. On les lynche. Tu sais c’est quoi, hein ? On les pend pas juste non plus. C’est à la fin, ça. » Il parlait plus fort que nécessaire. Quelques passants regardaient curieusement la scène insolite. Certainement moins insolite que celle qui se déroulait quelques mètres plus loin dans la boue, opposant une prostitué de l’open et une dame aux poches bien remplies elle aussi. En reprenant, Chuy baissa d’un ton comme pour lui souffler une confidence. « Surtout il faut que tu donnes ton argent avant qu’on vienne pour cramer ta maison et te faire sauter les yeux. Les riches entrent pas dans la maison de dieu. Tu sais, le chameau et l’aiguille. Tu connais, hein ? » Il tapota la main de l’homme, se redressant pour jeter un coup d’œil sur les passants qui déambulaient avec plus ou moins d’intérêt pour les trésors limités par la région qu’offraient les étalages.