#1. La vie d’Howard ne commence véritablement qu’à son adoption. Avant cela, on peut tout simplement dire qu’il n’était pas grand chose. Senachewine, fils de fermier, passait le plus clair de son temps au fond de son lit, dans une chambre qui ressemblait plus à un mouroir qu’à celle d’un enfant.
Un jour, c’est aux portes d’une grande maison qu’on l’amène. Sa mère pleure - il ne sait pas trop pourquoi - et son père a l’air sévère, plus que d’habitude, comme s’il tentait de retenir tout ce qu’il y a au dedans en pinçant la bouche et en plissant les yeux. Il dit au revoir et on l’escorte dans sa nouvelle chambre : là commence le bal des médecins. On le lave, on lui coupe les cheveux, on l’examine, on lui fait même quelques piqûres - un peu de ces précieux vaccins qu’on lui inocule, à lui, pendant que la réserve attend encore ceux qu’elle réclame. Le couple Beaver passe le voir de temps en temps, mais ils sont moins souvent là que le docteur King - qui remet d’ailleurs vite sur pied le garçon.
#2. Après six mois passés alité, Howard se dit qu’il va enfin pouvoir rentrer chez lui - mais on le laisse stagner dans sa chambre ou les couloirs, sans jamais presque lui parler; Quand Atticus s’adresse à lui, c’est avec le sourire d’un entrepreneur et la politesse d’un homme pressé.
On l’envoie dans une nouvelle chambre située dans la dépendance du personnel, quartier qui deviendra permanent au retour du premier né de la famille : Leur rencontre se fait sur un uppercut, suivie d’une bonne branlée pas vraiment méritée. Harrold n’aime pas savoir qu’on a partagé en son absence ce qui lui appartient de droit - Howard comprend vite la leçon, mais cela ne l’empêche pas de ruminer sa rage.
Quand Atticus les emmène à la chasse, il hésite parfois à leur coller à tous les deux un plomb dans la nuque et fuir, mais il ne le fait tout simplement pas. Il n’en a pas le cran. Ou peut-être pas le cœur. Pas encore.
#3. Howard a treize ans quand il fait sa première fugue- sauf qu’elle n’en a que le nom : Il n’est pas sûr qu’à la maison Beaver, qui que ce soit ait remarqué son absence. Mais peu importe, cela ne l’empêche pas de courir à travers champ.
Sa famille, il l’a revu seulement quelques fois durant des visites de courtoisie - un maigre repas du cœur qui ne suffit pas à le sauver de la famine. C’est pourquoi, en ce jour, c’est sur les terres de son père qu’il s’en retourne, retrouver frères, sœurs, oncles et tantes. Il arrive le cœur gonflé de courage et d’un espoir naïf. Hélas, l’accueil est mitigé. on ne comprend pas son retour, on s’inquiète, même : mais pas tant pour lui que pour le contrat tacite passé il y a tant d’années. Seule sa mère semble émue de voir son garçon grandis - mais on la chasse vite dans l’arrière cuisine.
On donne un peu de confiture au petit et on le fait patienter dans le salon pendant que les hommes de la famille règlent cette affaire. Howard les regarde silencieusement et, comme toujours, patiente. Une demi-heure plus tard, on le ramène la propriété Beaver.
#4. Harry est revenu de son école. Les deux garçons chassent maintenant sans Atticus qui passe le plus clair de son temps dans son bureau. Ils ne se battent d’ailleurs presque plus, comme deux chiens qui se supportent après avoir passé trop de temps dans la même cage. Howard, de toute façon, ne pense plus à rien d’autre qu’à bien faire : On l’entend à peine et il est devenu bon aux ordres. Il sait quand parler, mais qu’il faut surtout se taire ; il comprend quand on a besoin de lui, ou s’il doit quitter la pièce; il aide à la scierie et à la maison, partout et nulle part à la fois. Il s’est fait à tous ces langages silencieux dans lesquels s’expriment chaque membre de la famille. Il lui semble d’ailleurs parfois qu’il ne communique plus qu’ainsi.
Quoiqu’il en soit, les empires, toujours, suivent une hiérarchie précise - il suffit de l’apprendre pour survivre. L’apatride sait, en plus de cela, qu’il n’est pas tout à fait en bas de la chaîne alimentaire. On ne le malmène pas tant que ça, si ce n’est qu’on l’ignore la plupart du temps. Pourtant, on dirait que la famille s’est faite à sa présence : comme le majordome, il fait partie de la vie de tous les jours, seulement, lui, on ne pourra jamais le congédier. S’il en est ainsi, autant en tirer quelque chose, (
peut-être juste la satisfaction de ne pas être rien ).
#5. Quand Atticus envoie son fils à l’armée, c’est Howard qui se présente de son propre chef dans son bureau pour lui demander de partir, lui aussi. “
Pour garder un œil sur votre fils” qu’il dit. Faisant sûrement d’une pierre deux coups, le patriarche accepte. Mais si Atticus ne le prend pas au sérieux, Howard, lui, se sent investi d’une véritable mission : prouver à la famille qu’il est plus utile qu’ils ne l’imaginent.
Ils ont peur du premier né, c’est évident. Il l’a lui-même craint les premiers temps. Il faut dire qu’Harry n’est pas un garçon facile - et il aboie autant qu’il mord- ce qui est loin d’être un atout dans le jeu des Beavers, plutôt un véritable paris (
et leur chance de réussite sont faibles ). Mais si Howard peut le comprendre, la main pourrait être de nouveau gagnée pour la célèbre lignée. Alors il s’engage, lui aussi, sachant bien qu’il n’y va ni pour la patrie, certainement pas pour l’honneur et encore moins pour l’argent. Il ne sera jamais gradé, d’ailleurs, mais cela ne le dérange pas - Il ne sait pas guider les foules, juste les suivre.
D’abord agent de frontière, le tournant militaire que prend sa vie ne lui déplaît pas, même si ses relations avec ses collègues ne sont pas des meilleures. Cela lui donne au moins une bonne excuse pour talonner Harrold (
ce qu’il faisait déjà à Imogen, de toute façon ).
Le garçon est loin d’être assagi, au contraire. On dirait que la violence si librement exercée dans le corps de l’armée lui donne des ailes. Pourtant, c’est un très bon bonimenteur : il pourrait sûrement diriger une dizaine de soldats si seulement il ne se faisait pas renvoyer de chacun de ses postes. Mais On ne dégage pas le fils d’Atticus comme ça : on lui donne un nouveau travail dans une nouvelle caserne, on le met sous les ordres d’un autre caporal - tout pour couvrir les traces d’un comportement encore trop gênant aux yeux du père qui ne rappelle pas sa progéniture, malgré les mois qui passent. Bientôt un an. Baladés entre différents postes et quelques permissions sommaires passées à faire connaissance avec cette sœur ajoutée à la collection d’enfants d’un autre sang, Howard et Harry font leurs armes.
#6. Surveiller les frontières et tirer dans le dos des fuyards, ce n’est pas la même chose que faire la guerre. La bande de Cheyenne a qui ils ont dû faire face leur a appris cette terrible leçon. Comme des soldats de plomb, leurs camarades restent immobiles, face contre terre. Harry, lui aussi, ne bouge plus - mais il respire encore.
Allongé sous le cadavre d’un bleu qui lui aura permis lui aussi de faire le mort, l’apatride laisse les heures passer pour s’assurer que le danger est loin.
Au rythme sifflant des souffles de son camarade moribond, il réfléchit à l'intérêt de sa survie, se rappelant de ces parties de chasse pendant lesquelles il s’imaginait lui tirer dans le dos. Mais il ne sait plus trop ce qu’il pourrait y gagner. Il a bien grandi, il faut dire : le monde est une nuance de gris et les points blancs ou noirs qui font mesure de réel contraste sont si petits qu’ils en deviennent insignifiants (
ou plutôt inatteignables ). Harry est mauvais, mais il a participé aux mêmes pillages que lui, aux mêmes massacres, aussi. Peut-être même qu’il l’apprécie, aujourd’hui, puisque c’est grâce à lui que leurs bourreaux sont partis sans demander leurs scalps.
Alors, quand le soleil descend enfin vers l’horizon, il tire de la boue ce demi-mort. Sur des kilomètres, il le traîne derrière lui, improvisant une mauvaise civière avec sa veste de conscrit. Il rattrape doucement et difficilement les kilomètres qui les séparent du camp.
#7. Ce sauvetage lui a sûrement valu un peu plus de confiance - ou peut-être de respect, il ne saurait dire - de la part de Harry, ce qui lui rend la vie nettement plus facile. Il n’a pas l’impression de devoir gratter la poussière pour y trouver des os à ronger, n’importe quel secret qui pourrait lui faire comprendre le quart de ce qui se passe dans cette caboche. L'aîné Beaver est aussi plus calme : pour une fois, il ne sont plus trimballés de caserne en caserne - pas depuis que monsieur est devenu un héros. Les galons gagnés, visiblement, ne lui ont pas fait de mal. En tout cas, Howard ne se plaint pas de la camaraderie dont fait preuve l'aîné à son égard.
Il ne se plaint pas non plus sur le champ de bataille. Les premiers temps étaient certes difficiles - comme à la chasse, il faut s’habituer à la vue de sang, à l’odeur, aussi - mais à force, on s’y fait. Ce n’est pas plus compliqué que d’abattre un cerf, même moins : il faut plus de précaution pour traquer un animal. Les hommes, eux, courent directement vers vous. Certains sont en transe et ne voient même pas la mort arriver. De toute façon, c’est tuer, ou être tué.
Étrangement, ses relations avec les autres soldats s'améliorent aussi au fil des combats et des convois de prisonniers. Il suspecte cependant que son amitié avec Harrold facilite les choses - mais encore une fois, cela l’arrange bien. Il est invité aux tables de poker, maintenant.
Mais le fils Beaver ne s’est, en réalité, jamais vraiment assagi : il attendait seulement le bon moment. Le plomb qu’il a foutu dans la tête d’un de leur camarade scelle une dynamique particulière, celle d’une mécanique meurtrière : Harry se venge et Howard nettoie derrière lui. Il est trop tard pour reculer - et de toute façon, à quoi bon ? C’est même tant mieux, puisque leur coup fait le bonheur de leur supérieurs qui leur promettent la liberté et les honneurs en échange d’un nouveau meurtre qu’il sauront couvrir. Exécuter les ordres n’a jamais été un problème pour Howard.
#8. Enfin libérés du poids de l’uniforme, ce n’est pas au bercail que les deux compères s’en retournent : c’est dans les bois qu’ils s’enfoncent (
recommandation de l’armée pour ne pas trop faire parler d’eux ). Il se font trappeurs, parfois un peu mercenaires aussi.
Howard ferme les yeux sur la relation qu'entretient Harry avec les autochtones du coin (
dont un, en particulier ). Lui préfère se tenir à l’écart d’un peuple qui n’est pas vraiment le sien. Il préfère la chasse à la discussion - la quête d’une panthère blanche (
ou tout du moins de sa peau ) l’obnubile d’ailleurs particulièrement. Mais cette histoire, il laisse volontiers son camarade la raconter. Son récit est plus rocambolesque, plus merveilleux. De toute façon, personne n’a jamais demandé à Howard sa version des faits - à part peut-être Alice qui elle seule sait quel calvaire ce fut. Ce qui compte, c’est qu’ils en aient fait un tapis.
#9. Rappelés par leurs obligations, la scierie accueille de nouveau ses enfants - Atticus le fait lui aussi, avec peut-être moins de joie que le reste de son clan. Mais les informations qu’Howard partagent avec lui donnent au moins au patriarche une impression de contrôle sur son maudit fils. L’apatride, quant à lui, profite de cette confiance gagnée. Il peut bien raconter ce qui l’arrange et le premier né aussi, maintenant.
Il rencontre dans la même année Jenny Braun, une bonne que les Beavers viennent d’engager. Elle est grande, pas vraiment jolie, mais assez maline, ce qui la rend tout à fait charmante - et elle doit bien le savoir, puisque c’est elle qui est venue chercher Howard, sûre de son coup. Leur relation n’est pas vraiment secrète, mais puisque leur affection s’arrête aux nuits qu’ils partagent, personne n’en dit trop rien de toute façon.
La plupart des enfants Beavers sont mariés, puisque c’est apparemment la saison. Alice quitte la maison familiale et Harry étouffe les possibles scandales en partageant son toit avec une femme. Ne reste que Charles qui accompagne maintenant l’apatride à la chasse.
les années passent et l’empire Beaver, toujours, prospère. Harry et Howard se chargent d’élaguer la propriété, et parfois même la ville.
#10. Le corps d’alice est mal maquillée. Son visage est à peine le sien. Ils ont beau l’avoir bien habillée, trop vêtue pour une morte, certains bleus se voient tout de même. Le cercueil ne sera ouvert que pour la famille, le reste se contentera de regarder une boite disparaître dans le ventre de la terre. Dans celui d’Howard gronde un doute, une inquiétude qu’il ne saurait encore nommer. Les réactions de la famille sont diverses et variées, trop éparses peut-être quand seule la peine devrait les dicter. Mais on appelle à la vengeance, au moins pour Wyatt, le fils disparu - il n’y a rien de mieux pour rappeler à un clan qu’il doit rester lier. On envoie donc Howard sur la piste de l’enfant. Et peut-être que cette fois, il en fait une affaire un peu plus personnelle.
Infos en plus. 1. Howard a les épaules en avant et l’air timide. S’il n’a effectivement aucun talent pour les relations sociales, il n’est pas toujours aussi mal à l’aise qu’il en a l’air…
2. En bon apatride, il ne connaît presque rien de sa culture d’origine et ne la comprend pas vraiment non plus (
il ne cherche d'ailleurs pas à le faire ). Il n'y a que la langue des signes autochtone qu'il ait appris avec ses camarades de l'armée.
3. Il se laisse pousser les cheveux seulement parce que les couper lui vaut des regards plus appuyés que s'il ne ressemblait pas au modèle de base du "bon sauvage". Les autochtones l'assimilent aussi plus facilement, ce qui peut parfois se montrer utile. De façon générale, il les garde toujours attaché en une queue de cheval fait à la va vite.
4. Plutôt discret, Howard surprend souvent les gens qui l'entendent rarement arriver.