Animation d'
Halloween

Leonora loue une petite chambre à l’étage du Silver Saloon. Ce soir-là, lorsqu’elle traverse le tripot étrangement calme malgré le monde qui y a trouvé refuge, elle ne croise pas Sarah Robinson. La tenancière se tient habituellement derrière son comptoir à essuyer des verres ou à houspiller les fauteurs de trouble à qui la bière donne trop de confiance. L’espionne ne tient pas non plus rigueur des regards appuyés de certains clients, dont les joues et le nez rougis par l’alcool trahissent leur état d’ébriété avancé. Leonora continue d’attiser une curiosité déplacée depuis qu’elle a posé bagage au Saloon et elle est accoutumée à se faire dévisager par des hommes que la discrétion n’étouffe pas.

A l’étage, la porte qui donne sur son refuge de fortune n’est pas verrouillée. Et si elle pense à fouiller son petit sac à son poignet, elle constatera que la clef qui y donne accès ne s’y trouve plus.

Le Serpent n’a pas besoin de se glisser dans la pièce pour constater que quelqu’un a saccagé sa modeste chambre. De l'entrebaillement de la porte, elle peut apercevoir que les tiroirs du bureau ont tous été arrachés du meuble et jetés au sol, le contenu est éparpillé sur le plancher.
En entrant, elle pourra constater que le matelas du lit à subit le même sort. L’oreiller a été éventré et des plumes volent autour de ses jambes à chacun de ses mouvements. Toute la chambre est retournée, ici et là des planches du sol ont été arrachées, certainement dans l’espoir d’y trouver quelques secrets en dessous.

L’importun qui s’est introduit ici cherchait quelque chose. Reste encore à savoir s’il l’a trouvé… et s’il a eu le temps de quitter les lieux.

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L’arnaqueuse ne fit pas grand cas de ne pas trouver la propriétaire des lieux à sa place habituelle. Sarah avait probablement mieux à faire que de passer la soirée à briquer sa vaisselle. Cela ne semblait pas la déranger les autres jours, mais la brune était trop pressée de retrouver l’isolement de sa chambre pour plus se préoccuper de son absence. Elle ignora les autres clients, un masque d’indifférence figé sur ses traits. Ce qu’on aurait pu aisément prendre pour Elizabeth dénigrant la plèbe était en fait la brigande retrouvant son attitude naturelle. Elle se dirigea avec hâte vers son antre, soucieuse de laisser Leonora remonter à la surface après une dure journée de sourires et de minauderies. Les escaliers grincèrent sous son poids et sa démarche rapide, mais tout son disparut lorsque ses iris tombèrent sur la porte de la pièce, entrebâillée. Un silence lourd tomba, l’animation au rez-de-chaussée paraissant soudain bien lointaine et sa propre respiration se suspendant un instant. La voleuse savait pertinemment qu’elle avait verrouillé sa chambre en partant.  Il ne s’agissait pas là d’une erreur qu’elle aurait pu commettre. Non, quelqu’un avait forcé la pièce ou lui avait volé sa clé. Elle ne vérifia pas immédiatement dans son sac à main, s’inquiétant plutôt de sa situation présente que des circonstances qui l’avaient menée jusque-là.

La femme songea un instant à opérer un demi-tour, voler une monture et rejoindre le camp des Borden. En réalité, c’était tout ce à quoi elle aspirait depuis qu’elle avait pris le rôle d’Elizabeth. Mais elle ne pouvait pas. Cela ferait couler sa mission et trahirait la confiance que sa famille avait en elle. Sa place parmi eux n’était pas innée, elle était méritée. Si la demoiselle devenait un poids mort incapable d’accomplir ses tâches, les Borden ne la compteraient plus comme l’une des leurs. Inconsciemment, elle prit une longue inspiration et s’approcha de l’entrée de la chambre. Elle retint son instinct de donner un coup de pied dans le panneau de bois pour l’ouvrir complètement, fournissant un ultime effort pour maintenir sa mascarade de noblesse. Sa petite arme de poing se trouvait dans la pièce, avec son assaillant potentiel. C’était également le cas des fausses pierres précieuses de Tusitala, celles qui lui permettaient d’obtenir rapidement des fonds afin de maintenir sa richesse apparente. Vu la violente fouille que semblait avoir subie l’endroit, les deux avaient dû être découverts. Sa fiole de poison, en revanche, ne la quittait jamais. Qui pouvait bien s’imposer ainsi, et surtout pourquoi ? Que cherchait-il ? La seconde de gang apposa sa main près des gonds de la porte et poussa fermement dessus, celle-ci lui dévoilant finalement l’intégralité des lieux, avec un grincement des plus sinistres. Ses prunelles firent de leur mieux pour parcourir l’ensemble de la pièce, la pénombre n’aidant pas. Elle resta à l’extérieur, ne franchissant pas le chambranle, comme si une fois entrée, elle ne pourrait plus jamais sortir. Leonora fournit un effort pour rendre sa voix plus stable avant de s’exprimer, plus fortement que prévu. « Il y a quelqu’un ?! »

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C’est le silence qui lui répond.

Il n’y a pas âme qui vive dans la pièce. Leonora peut bien faire le tour des rares cachettes qui se trouvent dans sa chambrette, elle ne trouvera personne qui soit recroquevillé dans un coin. Pourtant tout semble avoir été retourné, pas un meuble n’a été épargné. Des lattes du parquet ont été retournées, avec une masse ou un marteau ; l'étranger a scarifié les murs à l'aide d'une lame affutée. Ses toilettes sont éparpillées au sol, les jupons tapissent le plancher de vagues de tissus raffinés. Sa petite arme à feu est dissimulée sous un des tiroirs qui a été retiré de la commode (et jeté au sol sans la moindre attention, il semblerait). Les trésors créés par les mains habiles de l’Alchimiste sont dispersés ici et là. Celui qui a fouillé les appartements de la jeune Elizabeth n’avait pas à l’esprit de s’enrichir, c’est une conclusion enfantine que peu tirer l’espionne des Borden.

Il y a bien quelque chose d’inhabituel (encore plus inhabituel qu’un casse) qui peut toutefois attirer l’attention du Serpent. Derrière le papier peint écorché se dévoile quelques lettres d’un carmin profond. En tirant un pan déjà à moitié arraché par celui qui a retourné la chambre, un message  apparaît :


La suite est cachée sous le papier peint qui n’a pas été attaqué, inatteignable derrière l’épaisse armoire en pin.

« Mademoiselle Kensington !? » La voix de Sarah Robinson parvient étouffée, encore lointaine. Elle monte les escaliers, faisant fît des devoirs de discrétion desquels on pourrait s’attendre de la part d’une femme de son âge. « J’ai quelque chose à vous remettre ! » A son pas, il est clair que la tenancière se rapproche de la chambre. Elle est encore hors de vue pour le moment.

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L’absence d’une quelconque réponse lui permet d’entendre le sang qui lui semble battre contre ses tempes. La brune déglutit, sa bouche se faisant particulièrement pâteuse, alors qu’elle pénètre complètement dans la pièce. Elle ne s’attendait pas vraiment à être accueillie par une voix de toute manière. Soit le ou les auteurs de ce désordre sont déjà loin, soit, s’ils l’attendent patiemment, ils sont suffisamment malins pour tenir leur langue quelques instants de plus, afin de véritablement la piéger entre leurs griffes. Leonora se prépare à un assaut quelconque, luttant pour empêcher ses paupières de se fermer devant le choc qu’elle anticipe déjà. Rien. Elle se tient bien seule, sur le parquet, garni d’une grande partie de ses possessions, ou en tout cas de celles d’Elizabeth. L’éclat brillant des fausses pierres précieuses attire son œil, lui apprenant que la visite impromptue dont elle a l’air d’être la victime n’est pas motivée par l’appât du gain. La criminelle s’avance machinalement dans la pièce, ramassant l’un de ses jupons, comme si c’était le bien le plus important à sauver. Son esprit se tourne déjà vers la nécessité de ranger ce capharnaüm avant d’être surprise au beau milieu de cette pièce sens dessus dessous. Quant à la raison de cette invasion, le Serpent n’est capable d’en formuler aucune, bien que la violence de la fouille lui fasse supposer un motif très personnel. 

Alors qu’elle laisse tomber le bout de tissu sur le lit, ignorant les plumes que le matelas éventré déverse, un rouge inhabituel dans sa vision périphérique lui fait tourner la tête. Elle fronce les sourcils en approchant du mur, ses doigts pinçant le papier fragile pour mieux le décoller. La femme ne peut empêcher ses iris de s’écarquiller. L’inscription mystérieuse se trouve sous la tapisserie et derrière un meuble bien trop lourd pour être déplacé. Est-elle antérieure à sa présence en ces lieux ? Tout ceci n’est-il qu’un terrible concours de circonstances ? L’appel de la tenancière manque de la faire sursauter, la tirant de ses hypothèses. Son cerveau ne laisse aucune place au doute. La priorité est de dissimuler cette intrusion aux yeux de tous, y compris son hôte. Elizabeth n’a définitivement pas besoin d’attirer autant d’attention. Elle se déplace avec hâte, trottinant littéralement jusqu’à la porte, ne laissant que son corps se glisser dans l’entrebâillement, avant de la tirer derrière elle. Robinson ne doit pas voir l’état de sa chambre. L’empoisonneuse peut facilement faire passer cela pour de la pudeur de sa part. Elle se retrouve nez à nez avec la tenancière et lui adresse son sourire le plus lumineux, faisant fi de l’état de dévastation de la pièce derrière le panneau de bois dont elle tient encore fermement la poignée, dans son dos. « Miss Robinson ! Je ne vous ai pas vue en rentrant, je vous pensais absente. »