Langue sortie et sourcils froncés, la gamine terminait de découper l’étoile de marshal qu’elle s’était bricolée avec un carton de cigarette qu’elle avait découvert caché dans les tiroirs de sa mère. Jamais Lizzie n’avait vu Sally fumer, mais peut-être appartenait-il à son nouveau papa. Elle avait glissé les cigarettes dans l’une des poches de son manteau puisqu’il lui était à présent impossible de les ramener dans la chambre de sa mère; celle-ci découvrirait qu’elle avait fouillé dans ses affaires et en serait probablement fâchée.

« Qu’en penses-tu adjointe Cinderella?, demanda Lizzie à sa poupée en épinglant l’étoile de marshal sur son manteau. Je crois que même celle de papa Bartel n’est pas aussi jolie! ». De l’autre côté de la table, Lawrence, l’ainé des enfants Davis releva les yeux des mathématiques qu’il était en train de faire pour regarder sa cadette. « Arrête de l’appeler papa. Il n’est pas notre père. Papa est mort! ».

Bien que les raisons entourant le décès de Joseph Davis demeuraient obscures pour ses enfants, le mariage de leur mère quelques jours seulement après sa mort avec un marshal venu de Silverstone avait particulièrement déplu au jeune Lawrence alors que, de leur côté, ses sœurs semblaient s’en être facilement accommodées. Enfin… Hazel n’avait tout simplement aucune conscience de ce qui s’était passé. Lizzie, quant à elle, avait pour son nouveau papa une admiration incompréhensible pour son ainé.

« Je le sais bien que papa est mort…, répondit l’enfant en sentant l’émotion lui nouer la gorge. Mais Bartel est gentil… Et maman l’aime… ». Lawrence attrapa ses cahiers et se leva d’un seul mouvement avec l’intention de quitter la pièce; sous ses airs renfrognés, le gamin tentait de dissimuler ses véritables émotions et, à sa manière, de garder la mémoire de son père bien vivante alors que tous semblait l’avoir oublié. Il en voulait à sa mère plus qu’à Bartel, car le marshal avait choisi d’épouser une veuve et de prendre sous son toit ses enfants. Joseph Davis devait certainement en être reconnaissant…

Lizzie regarda son frère quitter la pièce et cacha sa tête dans ses bras pour pleurer. Quelque part dans la maison des Murphy, les cris d’Hazel se firent entendre. Depuis qu’ils étaient à Silverstone, la cadette Davis faisait régulièrement des crises. Les jardins de leur ancienne demeure lui manquaient. Lizzie releva la tête. Son regard se posa sur l’étoile de marshal en carton et sur Cinderella. « Rien ne sert de rester ici à pleurer, Silverstone a besoin de nous! Allez viens, Cinderella! ». La gamine se leva, enfila son manteau de bonne facture sur lequel, croyait-elle, brillait l’étoile de marshal et attrapa sa poupée et adjointe pour partir à la chasse aux méchants.

Il était maintenant connu de tous que le marshal Murphy avait ramené d’un voyage à Boston une épouse et ses trois enfants. Ainsi, rares furent les habitants de Silverstone que croisa Lizzie à ne pas lui accorder leur attention. Certains remarquèrent même sa petite étoile en carton et la saluèrent comme si elle était un véritable marshal. La gamine ne pouvait en être plus heureuse. Elle marchait d’un pas confiant en tenant contre elle son adjointe de chiffon en quête d’un malfrat à arrêter lorsqu’elle entendit les jurons d’un vieil ivrogne. Celui-ci se tenait à la sortie du saloon et clamait haut et fort qu’on venait de le voler. Il levait le poing vers le ciel et accusait « les morveux » d’être les responsables. Lizzie l’observa un moment et leurs regards se croisèrent. Soudain, le vieil homme pointa un doigt boudiné vers elle et cria : « T’es l’une d’ses sales vermines! Dit à ton patron… Dis à Luke qu’j’veux mon argent! ». Lorsqu’il se mit à faire quelques pas dans sa direction, Lizzie prit la fuite, effrayée par le comportement de l’homme.

Elle termina sa course à l’ombre d’un bâtiment et s’adossa à son mur pour souffler. « Tu n’aurais pas dû fuir Cinderella... Une adjointe de marshal se doit d’être courageuse!..., dit Lizzie en disputant sa poupée pour sa propre couardise. Néanmoins, nous avons fait du bon travail. Nous avons maintenant un nom : Luke. ». La gamine avait un véritable méchant à arrêter. Et pas n’importe lequel! Le vieil homme avait dit que Luke était le patron… Un patron, c’est du sérieux, non? « Si tu étais le patron des… comment il a dit déjà? Ah oui! Si tu étais le patron des morveux, où te cacherais-tu? ».

Je suis sorti très tôt ce matin dans l'idée d'observer l’installation de la foire. Mais mon esprit était occupé par le confort des enfants.... et particulièrement celui d'Hazel qui conditionne la tranquillité ou non du reste de la maisonnée.
J'ai noté qu'elle appréciait la présence de Satan... Mais je peux difficilement imposer à Sally la présence d'un  cheval gigantesque, de plusieurs centaines de kilos au milieu du salon...
J'apprendrais à monter à cheval à Hazel plus tard. Puisque les animaux l'apaisent tant....

Dans les allées de la foire qui sont sont en train de se monter, un berger vend deja une portée de chiots. Je jette un regard... Je m'y connais mieux en chevaux. Mais je peux reconnaitre leurs états. Ils ont quelques semaines, à peine sevrés. Ce sont des poiles vivantes et soyeuses qui devraient attendrir n'importe quel enfant des villes

Vous comptiez les vendre ou les noyer? Combien pour les trois...

Le type me regarde surpris de cet intérêt

Ce sont d’excellents gardiens de troupeaux. Adultes, ils ne craignent ni les loups, les ours et les cougars...

J'en saisis un. Difficile de croire à cela devant ce format de peluche...

Ils ferront 80 kg à l'age adulte.

Il écrit le prix sur un bout de papier

Voici le prix d'un chiot.

Je souris devant son estimation. Il m'a pris pour un Rosenbach

D'accord pour ce prix, mais pour les trois ensemble.

Je lui souris.

C'est un pays de vachers... Ils haïssent vos moutons et vos chiens. Vous n'aurez pas mieux...

Quelques  instants plus tard, je reprends le chemin de la maison avec mon chargement remuant. J'en profite tant qu'ils ne font pas encore leurs poids de bisons d'adulte.
Une fois le porche passé, je suis accueilli  par la gouvernante quelque peu fatiguée.... Avec derrière elle une Hazel à l'expression stupéfaite devant mon arrivée.

Au moins, je suis arrivé à cela... la surprendre.

Je dépose les trois chiots sur le sol et l'un d'eux va droit sur elle comme une flèche sur sa cible. La fillette  s'assoie sans manière par terre et le chiot lui lèche avec soin le visage.

Je regarde la gouvernante.

Il y en a un pour Lawrence. Vous le lui donnerez

Il serait capable de le refuser si c'est moi qui le lui donne...

Et l'autre est pour Lizzie. Ou est-elle?

La vieille femme me sourit.

Elle est allée se promener.

Je reste sans voix devant cette inconscience. Silverstone n'est pas un jardin pour enfants....

Je vais la chercher... Gardez les chiens.

****

Il semble que Lizzie soit parfaitement identifiable et repérable. On me raconte qu'elle s'est fabriquée une étoile d'adjointe...

Pourquoi les enfants sont si contrariants....?

Je parviens à trouver sa trace assez vite à mon grand soulagement.

Elle a choisit de se perdre dans une ruelle, mais quelqu’un l'a débusquée avant moi.

C'est un adolescent maigre et sale. Je ne vois que son dos, mais sa voix est très clair et font écho dans la ruelle.

« Hey toi ».... « Pourquoi tu cherches Luke ? ».

Sans blague... Voici un spécimen de la bande du petit merdeux...

Hey toi

Je peux gueuler plus fort que lui, beaucoup plus fort... Je me rapproche tranquillement

Mon adjointe ne connait pas Luke. Mais moi si...

Je regarde de bas en haut sa silhouette de chien efflanqué.

Puisque  visiblement tu le connais... Dis lui que son père sera ravi de lui dire deux mots et même plus...

« Hey toi »

La jeune Lizzie sursauta et fit un mouvement vers l’arrière comme s’il lui était possible de se cacher dans le mur derrière son dos. Aux yeux de la petite, celui qui l’avait interpelé paraissait être presque un adulte. « Pourquoi tu cherches Luke ? ». Son ton de voix avait été brusque. Seul Lawrence se permettait parfois de parler ainsi à sa cadette. C’était quelque chose de désagréable et d’épeurant de la part d’un inconnu. Néanmoins, aujourd’hui, Lizzie était une vraie de vraie Marshall. Avec son étoile, personne ne pouvait lui faire du mal, croyait-elle.

« Ce n’est pas vrai, Cinderella, il connait Luke… », chuchota la gamine à sa poupée en essayant de remuer les lèvres le moins possible tout en gardant ses yeux rivés sur son interlocuteur. Prenant son courage à deux mains, l’enfant se décolla du mur et répondit : « Je suis la Marshall Lizzie Davis-Murphy et je recherche Luke pour l’arrêter et l’envoyer en prison! Es-tu l’un de ses morveux? ».

Soudain, une silhouette familière attira l’attention de Lizzie à quelques pas derrière le jeune homme : « Papa Bartel! », s’exclama-t-elle en sautillant sur place. « Viens-tu jouer avec nous? ».

Pour toute réponse, Bartel interpella le garçon puis lui annonça que son adjointe ne connaissait pas Luke. Son adjointe? Lizzie fronça les sourcils. Ce n’était pas une étoile d’adjointe qu’elle s’était fabriquée, mais une étoile de Marshall. Elle tourna les yeux vers Cinderella : « Tu crois que je peux être adjointe et Marshall en même temps? Non, toi tu es seulement mon adjointe. Il ne peut pas y avoir trois Marshalls… ». Pendant ce temps, Bartel continua de discuter avec celui qui semblait ne pas avoir pris de bain depuis un moment jusqu’à ce qu’un autre jeune homme, du même âge environ que le premier, n’arrive à son tour.

Les yeux clairs de Lizzie se posèrent sur le nouvel arrivant. Il lui était totalement inconnu, mais avait un petit air qui lui semblait étrangement familier. Elle avait déjà vu ces sourcils froncés quelque part… « Cinderella… Je crois que c’est lui, Luke… », murmura la gamine en approchant sa poupée de sa bouche. Puisque plus personne ne semblait la regarder, Lizzie se déplaça doucement pour contourner le garçon qui lui avait parlé brusquement et son père. Elle s’accroupit et tenta de s’approcher discrètement de celui qu’elle imaginait être Luke. Peut-être pouvait-elle le prendre par surprise…

J'attrape Lizzie au vol. Il manquerait plus qu'elle roule dans la boue  avec Luke. Je la regarde dans les yeux.

Toi! Tu bouges même pas un cil!

Bon... Je peux pas m’empêcher de sourire. Ça porte certainement atteinte à mon autorité.

"Hé Luke" .... "J'crois t'on père a pas compris qu'tu voulais pu l'voir."

Je sursaute. J'avais oublié l'autre gamin.  Je souris à Luke.

Son ami me prend pour un imbécile. Comme lui depuis le début.... Dommage, j'aurais aimé le connaitre. Mais on dirait que ça n'arrivera pas.

Je devrais être triste, mais Luke tient de moi un certain manque de sentimentalisme. J'ai du quitter la plantation au même age pour des raisons qu'il ne connaitra jamais. On restera des inconnus l'un pour l'autre.

Je suis celui qui peut  le comprendre. Mais il ne le saura jamais ....

Tant pis pour moi... Ce n'est pas la première personne que je perds. Au moins lui est vivant... j'aurais voulu qu'il connaisse au moins sa mère. Mais je veux épargner à Sally ce gamin qui nous vomit. Autant qu'il parte...

Je regarde mon fils pour la dernière fois.

Prends la route que tu veux. Des que j'aurais dépassé la sortie de cette rue et que je ne te verrais plus, ce sera comme si tu n'avais jamais existé.
Alors rassure ton pote, je ne vais pas faire faire une scène...

Est-ce que j'ai l'air de déborder de sensiblerie....?

Je baisse la tête vers la petite et deja, je respire mieux.

On va à la foire tous les deux...

Je mets mon chapeau sur la tête de la blondinette. Je place mes mains sous ses aisselles. Et en douceur, je la soulève par dessus ma tête et je l'installe sur mes épaules. Je tiens ses petites chevilles pour la stabiliser.
C'est pas très difficile de l'aimer.