Le sombre de la nuit habillait la petite ferme d’un voile dense. Il était tard, bien trop tard pour qu’une demoiselle de son rang soit encore éveillée, mais Charlotte n’était plus une demoiselle de son rang depuis un bout, maintenant.

De l’autre côté du mur, celui qui lui avait ravi son statut devait dormir du sommeil du juste et la jeune Kingsley souriait comme la plus heureuse des imbéciles. Un oreiller dans les bras, elle regardait le plafond, puis le mur, puis ses mèches brunes couvrant le lit comme un second drap, puis le plafond à nouveau. Dans ce coin de campagne, la lune éclairait sa chambre avec assez d’intensité pour qu’elle puisse détailler la silhouette de sa chaise et de son petit bureau, sur lesquels reposaient respectivement sa robe de chambre et son dernier travail d’aiguille. Lorsque ses yeux accrochèrent pour la énième fois le scintillement du miroir, elle bascula pour s’asseoir sur le bord du lit et enfila ses chaussons. La nuit était belle, peut-être pourrait-elle apercevoir une étoile filante. À pas de loup, elle se glissa jusqu’à la vitre et se pencha pour regarder le ciel.

Ce ne fut pourtant pas la Voie Lactée qui attira son oeil. En contrebas, un mouvement lui fit craindre que Dolly ait enfin réussi à ouvrir la grange. Elle aurait aimé que ce soit sa têtue de vache.

Les hommes s’avançaient vers l’édifice avec une précision presque militaire (mais Charlotte n’était pas militaire alors tout rassemblement à peu organisé lui rappelait des troupes) et le sang de la fermière en herbe ne fit qu’un tour. Aussi optimiste qu’elle puisse être, elle ne trouvait que des explications funestes à leur présence. Une part d’elle voulut aller se cacher sous ses couvertures, laisser ces malfrats prendre ce qu’ils désiraient pour qu’ils repartent sans faire d’histoire. Sans lui lier les poignets en la forçant à se lancer dans la contrebande.

Mais elle n’était pas seule, maintenant. Flynn, ce frère qu’elle n’avait jamais eu, dormait dans la chambre du bas. Isaac, aussi doux que son prénom, prenait un repos bien mérité à quelques pas. Et puis John, son beau John, séparé d’elle par quelques cloisons… Il y avait surtout Dolly, au première loge de cette effraction malvenue. Charlotte ne pouvait définitivement pas rester à rien faire lorsque sa maisonnée dépendait d’elle. Elle prit une grande inspiration, intima à son cœur de cesser son vacarme et se faufila vers la porte qu’elle ouvrit avec la plus grande discrétion. John saurait quoi faire.

Mais si Charlotte se voulait souris, sa maison se voulait presque ruine. La porte émit un long grincement. Une oreille attentive l’aurait probablement entendu, mais la maisonnée dormait et Charlotte n’y prêta que peu d’attention.

Résumé et Dés:

Tirage de dés:

Loin était le temps où Charlotte vivait seule sur la ferme avec seul un John sauvage jaillit de la plaine pour la sauver de son ennui. Ce soir en particulier ce coin de terre était bien habité. En plus d'Isaac qui avait emménagé à temps plein, il y avait aussi Flynn et bien sûr John lui-même qui avaient chacun leur chambre dans la maison qui commençait maintenant à avoir une allure décente grâce au travail acharné des trois hommes et de leur patronne. Il fallait aussi compter les circassiens qui s'étaient abrités dans la grange pour la nuit. Savoir tout ce beau monde sur les terres de la ferme aurait du rassurer John, et pourtant il se tournait et retournait dans son lit sans réussir à trouver le sommeil. Quelque chose le tracassait sans qu'il réussisse à savoir quoi.

Las de tourner entre ses draps comme une toupie, il décida d'allumer une lampe pour faire quelques pas, lire un livre peut-être… Qu'est-ce qu'on pouvait bien faire en cas d'insomnie ? Voilà une question que le fermier ne s'était jamais posée, lui qui avait l'habitude de s'effondrer dans les bras de Morphé à peine la tête posée sur l'oreiller.

Mais les Voyages de Gulliver n'arrivèrent pas à faire s'évader son esprit. Il referma l'ouvrage à la douzième lecture du même paragraphe. Il tourna encore un peu en rond, regarda la lune qui jouait à cache cache avec les nuages, et une ombre dans le jardin attira son regard. Non pas une ombre, mais plusieurs. Des acrobates insomniaques ? Plissant les yeux il constata que les étranges apparition se dirigeaient lentement en direction de la grange. Cela faisait beaucoup de gens sortis d'un coup pour une pause-pipi nocturne. Un grincement lui provenant de derrière son dos le fit sursauter.

- Oh Miss Charlotte, car c'était elle, en robe de nuit et ses longs cheveux lui tombant jusqu'aux hanches, vous non plus vous n'arrivez pas à dormir ?

Il rougit quand il s'aperçut qu'il n'était encore qu'en chemise et se précipita vers son pantalon.

- Ah excusez-moi ! marmonna-t-il en l'enfilant.

Il ne fit pas tout un état de sa confusion, il y avait des choses plus inquiétantes auxquelles penser. John attrapa son fusil qui n'était jamais très loin de lui et de l'autre main attrapa celle de Charlotte quand il la rejoignit à la porte de sa chambre.

- Pardonnez-moi mais je crois que nous avons des intrus dans le jardin. Je descend au salon pour regarder ça de plus près, réveillez les autres et rejoignez moi en bas. Vous avez toujours votre colt ?

Il souffla sa lampe.

- N'allumez pas les lumières.

Dés:

Le parquet grince. La porte de la chambre où loge Isaac s’ouvre, une silhouette se découpant dans l’encadrement de celle-ci, seulement éclairée en contre-jour par la lumière de la lune. Puis une voix s’élève, qu’il reconnaitrait entre mille. « Allez viens gamin, on bouge », lui dit Logan. Sans vraiment comprendre ce qui se passe, le gosse se redresse et fronce les sourcils. Comment est-il entré sans que personne ne l’entende ? Mais au lieu de le lui demander, il se contente de répondre : « T’en as mis du temps, qu’est ce que tu foutais, bordel ? ». Vexé de s’être fait abandonner de la sorte, il ne bouge pas. Car Isaac a toujours du mal à digérer la disparition de son frère d’adoption. « Ça fait un an, putain. », ajoute-t-il, fixant toujours la silhouette donc il ne distingue pas les traits. Mais l’ombre ne lui réponds pas. A la place, elle s’approche, faisant grincer le parquet. A nouveau, Isaac s’exclame : « Arrête, tu vas réveiller Miss Kinglsey… » lui dit-il, pourtant plus bruyant que ledit grincement. Là encore, Logan ne semble pas l’entendre. Isaac tourne alors la tête vers l’horloge placée dans sa chambre, mais il est incapable de lire l’heure. Il doit être sacrément tard, se dit-il en se frottant les yeux. Persuadé que Logan ne va pas vraiment lui laisser le choix s’il tarde trop, il se décide enfin à sortir du lit. Repoussant les draps pour venir poser ses pieds parterre, seulement vêtu d’un caleçon de coton et d’un sous-pull en maille trop court au niveau des manches, il dit : « Trouve mes chaussures… », cherchant lui-même ces dernières à tâtons sous son lit. Seul le silence lui répond. Lowell relève alors la tête, pour trouver un autre visage face au sien.

« Ben ?! » s’exclame Isaac, bouche-bée. « Tu sais, si tu veux me voir t’es pas obligé d’entrer par effraction chez Charlotte ? Putain, j’ai vraiment cru que c’était Logan. » Mais là encore, le chasseur de primes ne dit rien. Pourtant, Isaac est persuadé que c’est bien le jeune homme en face de lui. Comme il était persuadé d’avoir Logan en face de lui. Mais il ne distingue toujours que des ombres, et celle d’une carabine vient s’ajouter au tableau. Le gosse ne peut pas s’empêcher de plaisanter, tout en enfilant la chaussure qu’il a enfin trouvé : « C’est une grosse carabine que t’as là ». Connaissant Ben, il peut voir ses joues rougir même dans la pénombre, pourtant ce dernier ne dit toujours rien.

Résumé et Dés:

John avait prit les escaliers et était descendu à pas de velours dans l’idée de se rendre au salon pour observer de plus près l’agitation qu’il avait remarqué à l’extérieur. La lune jouait à cache-cache avec les nuages et offrait un éclairage plus que sommaire (pour ne pas dire inexistant) pour son escapade mais le jeune fermier connaissait la topographie des lieux par coeur et n’avait pas besoin de lumière pour évoluer dans la maison. Dix pas dans le couloir, à gauche, quatorze marches, tout droit sur trois mètres (éviter la planche qui grince) et encore un pas à droite et il était dans le salon.

Silencieux comme une ombre, il avait pour seul objectif la fenêtre qui donnait sur le jardin. Les rayons de la lune qui traversaient la vitre donnaient au salon une allure de manoir hanté qui faisait froid dans le dos. Tout concentré qu’il était sur sa fenêtre, John n’aperçut que trop tard que ce soir la petite ferme était peuplée de trois fantômes, intrus au sang encore chaud et aux intentions néfastes. C’est un cliquetis de revolver qui les trahit et fit sursauter le fermier au fusil chargé alors qu’il comptait les silhouettes mouvantes à l'extérieur. Il se retourna d’un seul geste en épaulant son arme, conscient qu’il faisait une cible parfaitement détourée par la lumière extérieur.

- Pas un geste! S’exclama-t-il en faisant un pas sur le côté pour se dissimuler dans l’ombre du rideau.

Mais il ne voyait absolument rien. Après avoir regardé la lune dans les yeux tout lui semblait aussi noir que le fond d’un four. Il réprima un juron et décida de profiter de l’obscurité ambiante pour prendre la poudre d’escampette, plus pressé de retrouver Charlotte et de la mettre en sécurité plutôt que de tirer au hasard dans son salon. Seulement l’escalier n’était plus vide. Un homme dont il ne distinguait que l’imposante silhouette lui bloquait le passage jusqu’à l’étage.

John serra la mâchoire. Ce bandit se trouvait entre lui et Charlotte. Décidant de jouer le tout pour le tout, il se précipita comme un taureau furieux vers le mastodonte en espérant que l’effet de surprise et la pénombre qui les entouraient joueraient en sa faveur.

Lancer de dé:

Tirage de dés:

La tenue de John ne l’avait pas choquée le moins du monde, en tout cas jusqu’à ce qu’il attire l’attention dessus. Confuse, elle en oublia presque de mentionner les intrus en contrebas. John les avait déjà remarqués, heureusement, et en quelques secondes, il était partit investiguer. Sous les ordres du fermier, elle était retournée à sa chambre pour prendre le colt dissimulé dans un tiroir. Le coeur battant, les mains moites et les oreilles sifflantes, la jeune femme prit quelques secondes pour se recomposer avant de franchir la porte pour la troisième fois.

Isaac était dans la chambre du bas, elle n’avait qu’à suivre les pas de John. Mais il faisait noir et l’habitude n’enlevait en rien son appréhension pour les escaliers. Elle lorgna vers la lampe sur la console dans le couloir. Seule, elle l’aurait probablement déjà allumé, ce qui lui confirmait une nouvelle fois que ces chances de survie étaient diablement faibles si ce n’était pas de sa bonne étoile. Les quelques secondes passées à réfléchir avait permises à John de disparaître de son champ d’ouïe et Charlotte se retrouvait maintenant dans le noir complet avec pour seuls compagnons les sifflements du vent dans la charpente. Elle écarta les bras pour se guider, les mains sur chaque mur du couloir. Les bords du portrait de son oncle lui indiquèrent qu’elle était presque au niveau des escaliers et elle s’apprêtait à tourner lorsque la voix grave de John retentit, impérieuse.

Surprise, elle tourna la tête vers l’entrée. Sa main encore sur le mur suivit son mouvement et renversa le vase et les fleurs sauvages qu’il contenait. Par chance, le tapis amortit la chute et le verre ne se brisa pas. Charlotte, par contre, ne pouvait pas le savoir et tenta de récupérer le vase avant qu’il n’atteigne le sol. Apeurée. Dans le noir. Avec une robe de chambre qui lui caressait les orteils. Elle se vautra de tout son long, son menton se cogna contre le parquet, ce qui l’étourdit légèrement. Le colt qu’elle tenait glissa plus loin, et si elle entendit la friction du métal sur le bois, elle n’arrivait pas à en déterminer la distance. Avec un peu de chance, le bruit avait réveillé Isaac.

Résumé et Dés: