#1. Héritage Rinaldi. Les sangs se glacent. Les yeux ne cillent pas. On craint de respirer face à cet hydre monstrueux que l'on sait immortel.
Depuis la fin du XVIIIème siècle, à Naples, ce nom fait frissonner et attire les regards en coin. Voyous, voleurs, bandits, meurtriers... Ils ont gravi toutes les échelles du crime et ont bâti leur renommée sur des piles de cadavres. Famille de la Camorra, implantée dans le quartier San Giovanni a Teduccio à Naples depuis toujours, ils inspirent la crainte, le respect et la loyauté. La famille est tentaculaire et on raconte que si l'on en coupe une tête, trois autres en poussent. Leurs activités sont multiples et versatiles, mais s'il en est une qui fait leur fierté, c'est l'élevage de chevaux napolitains qu'ils possèdent, dans la campagne au nord de la ville. C'est au sein de cette terrible et magnifique famille que naît Filippa.
#2. Parents Lui est de taille moyenne, arborant une moustache noire et de grands yeux bruns. Elle est petite, à la peau bronzée et ses yeux, deux braises ardentes semblables à deux petites olives noires enfoncées dans leurs orbites.
Si l'on se penche sur ses parents, on remarque derechef que quelque chose cloche. C'est le père qui a pris le nom de la mère. C'est la mère qui appartient toute entière à la Camorra. Une étrangeté dangereuse. Une originalité qui attire la méfiance. C'est pourtant l'amour qui lie Maria et Francesco Rinaldi. Ensemble, ils ont sept enfants. Filippa, l'aînée, et six garçons. Et Francesco est aussi doux que Maria est retorse. Le bottier se rend rapidement compte que dès leur naissance, ses enfants ont hérité de la marque de la familiglia et ne cherche même pas à lutter. Il se montre présent et aimant, mais ne parvient pas à arracher ses enfants à la mafia.
#3. Famille Il y a la voix rocailleuse qui s'élève en mots chantant, en patois dont la dernière consonne tombe. Il y a l'odeur des tomates et du citron qui baigne l'espace. Au milieu de la farine, des enfants rient aux éclats, les mains blanches et les bouches édentées.
Un des premiers souvenirs de Filippa est la cuisine de sa grand-mère. Elle y passe la plupart de ses journées à jouer dans l'insouciance avec ses frères, ses cousins et ses cousines. Très proche du noyau dur de sa famille, elle voue un amour inconditionnel à ses grands-parents et les accompagne, tous les dimanches à l'église. Sa grand-mère lui offre un pendentif de la corne d'abondance, gravé de son nom, Yolanda, qu'elle chérit. Avec sa fratrie, elle fait les quatre-cent coups, espionne les adultes et chapardes des cigares. Elle est prête à tout pour les défendre. La fillette assiste à son premier assassinat, des mains de sa mère, lorsqu'elle a cinq ans. Elle n'en demandera jamais la raison.
#4. Mentor Les sabots martèlent le sol et soulèvent les nuages de poussières. Les hommes crient et jurent, leurs mains disant des mots que la bouche ne peut prononcer. Des les petites mains brunes, les pièces trébuchent.
Filippa fait ses premières armes dans les courses hippiques. Gamine qui doit faire ses preuves face à des cousins tout aussi déterminés qu'elle de trouver leur place, elle prend les paris des courses truquées. Rapidement, on se rend compte de son talent avec les chiffres et de cette facilité qu'elle a à décupler les rendements. Son oncle maternel, contaiuolo du jeune caposocietà des Rinaldi, la prend sous son aile pour la former.
#5. Vendetta Les hurlements ne cessent pas. Ils se brisent, glougloutent, s'essoufflent, repartent. La lame est rouge. Les doigts de la meurtrière aussi.
Malgré son statut de femme, à force de travail et d'efforts, Filippa trouve sa place au sein de la famille Rinaldi et gagne la confiance de la branche principale. Ses frères grimpent aussi les échelons à coup de braquages, vols, trafics et meurtres. Le premier fils, Mario, meurt des mains d'une prostitué dont le père, endetté auprès des Rinaldi, a été assassiné. Rongée par la rage, Filippa organise sa première vendetta. Avec ses cinq autres frères, elle met à sac le bordel et égorge la prostitué avant de jeter son corps à la mer. S'il a été retrouvé par des pêcheurs, personne ne le sait.
#6. Réseau "Ils sont partout. Infiltrés chez tout le monde. Regarde sous ton lit ce soir. Serai' pas étonné qu'on en trouve un, tiens."
Après cet événement, Filippa devient officiellement la contaiuola de Tonio "La Morrue" Rinaldi, son cousin au deuxième degré. Chargée des comptes, elle tient les finances d'une main de fer et fait fructifier les gains de la famille. Elle déploie un large réseau de prêts et d'arnaques qui les enrichissent considérablement au fil des années. Elle fait rentrer deux de ses frères chez les carabinieri et un autre dans les hautes sphères de l'administration italienne, à Rome. Patiente, méticuleuse, Filippa arrive toujours à ses fins.
#7. Contestation "Ils sont là, la clope au bec, avec l'air de posséder le quartier. On va leur faire bouffer leur clope, tiens. Et leurs bourses avec."
En 1879, la famille Mazzarella s'installe dans le quartier San Giovanni a Teduccio et entend renverser l'empire des Rinaldi. D'abord simplement provocateurs, rapidement remis à leur place, quelques coups d'éclat les mettent en confiance. Ils finissent par s'attaquer directement aux établissements de jeux de la famille Rinaldi. En représailles et pour donner l'exemple, Tonio assassine le chef de famille des Mazzarella. Ses frères et ses filles jurent vengeance, mais ils disparaissent de la circulation avant que les Rinaldi n'extermine le reste des raclures.
#8. Massacre L'oeil glauque de Tonio fixe sans voir. Il y a un voile sur ses iris, comme des nuages blancs dans le ciel d'été.
Ce n'est que deux ans plus tard que l'impensable se produit. Lorsqu'elle arrive à l'élevage de chevaux des Rinaldi pour une visite routinière, Filippa trouve tous les mâles émasculés et les juments ouvertes de leurs parties génitales au poitrail. Les employés baignent dans une marre de sang. Folle de rage, Filippa rentre à Naples pour prévenir le reste de sa fratrie... pour trouver la tête de Tonio épinglée aux portes de la ville. Chaque planque, chaque maison qu'elle visite ne sent que la mort et le sang. Traquée, sans meute et aux abois, elle découvre avec effarement que ses grands-parents ont survécu, cachés dans le mausolée familial. La découverte des cadavres de ses frères, de son père et de sa mère remplaçant les statues des saints aux quatre coins du quartier et d'une madonne signe le glas de la famille Rinaldi.
#9. Furie Quel âge a-t-elle ? Quinze ? Seize ans ? Mais elle ne voit pas l'âge, ne voit pas la fille, ne voit pas la douleur. Elle ne voit que la Mazzarella.
Les Mazzarella savent que Filippa manque à l'appel. Aveuglée par la haine et bouffie de fierté, la jeune femme finit par mettre la main sur la jeune soeur de Domenico Mazzarella, l'actuel chef de famille. Après deux jours de torture, l'adolescente lui révèle l'emplacement d'une planque. Filippa lui crève les yeux et la laisse se vider de son sang pendant qu'elle vole l'argent des Mazzerella. Avec la somme, ses grands-parents finissent par la convaincre de fuir Naples pour aller là où leurs ennemis de les trouveront jamais : l'Amérique.
#10. Chute Les deux mains lisses tiennent les deux mains parcheminées, usées par le temps et la vie. Sous leurs ongles, le sang a séché. Cela ne les empêche pas d'avoir envie de gratter encore.
Cinq ans plus tard, Filippa et ses grands-parents se sont installés à Silverstone, dans un quartier d'immigrés où les quelques italiens échoués là se regroupent. Propriétaires d'une épicerie - achetée avec les derniers sous des Mazzarella - ils vivotent, bien loin du faste de leur vie napolitaine. Filippa cuisine dans l'arrière-boutique et sa rappelle avec une nostalgie teintée de colère de sa ville, de son quartier, où leurs ennemis règnent désormais en maîtres. Elle et d'autres italiens vivent de petits larcins, de vols et d'extorsions. Mais la jeune femme est loin de se laisser abattre. Elle commence à organiser la bande de ritals comme le lui a appris son oncle et n'a qu'un mot en tête : la vengeance.

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